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Je cours, tu cours, il court, nous courons…. “hors stade”.Posté le 24 février 2021

HISTOIRE DE LA COURSE A PIED HORS STADE
Par Eric Lacroix – Professeur agrégé d’EPS – Entraîneur fédéral d’athlétisme

Parallèlement à l’histoire traditionnelle de l’athlétisme, il existe bien une véritable histoire de la course à pied hors des stades, une pratique communément qualifiée de libre. Cette pratique fédère une population avide de nouvelles difficultés et d’émotions fortes, orientée tout à la fois vers un plaisir partagé et une liberté clairement affichée. Cette nouvelle façon le concevoir l’athlétisme apparaît plus particulièrement au tournant des années 1970 dans un moment caractérisé par le renouvellement de pratiques sportives existantes ou la diffusion de nouvelles pratiques. En effet, dans un climat international mouvementé du fait de la guerre froide, on assiste à l’éclosion de nouveaux mouvements sociaux. Les revendications féministes,  écologistes, pour les droits de l’homme ou ceux des homosexuels s’affirment avec de plus en plus de force. Ce long processus de « crise post-68 » influence logiquement les aspirations des
générations nées après la guerre de 1939-1945.

Elles y trouvent un terrain fertile d’émancipation et de liberté, ainsi qu’une multitude d’idées et de contestations en tous genres. La réappropriation des espaces urbains et la recherche de l’épanouissement personnel hors du monde professionnel deviennent des valeurs centrales pour les catégories sociales les plus favorisées. Dès lors, beaucoup d’hommes et de femmes  s’efforcent de conquérir un territoire de la course à pied jusque-là accaparé par les seuls accrocs du chronomètre et les adeptes de la performance. C’est un phénomène nouveau pour les instances dirigeantes de l’athlétisme fédéral, un phénomène qui parfois leur échappe mais dont les nouveaux acteurs s’approprient progressivement l’état d’esprit.

Sensations vécues et ressentis du joggeur, temps de passage et performances du marathonien, douleurs musculaires extrêmes du coureur de montagne, les courses hors de l’enceinte des stades demeurent malgré tout des disciplines difficiles à définir et à fixer tant elles sont l’objet de multiples déclinaisons. Entre la course de fond, la course à pied, la course de montagne, la course sur route, voire le jogging ou le footing, diverses manières de pratiquer ont émergé avec force les unes après les autres depuis une trentaine d’années. La course à pied hors des stades est donc un objet d’étude complexe et hybride. Les controverses sur les motivations profondes de ses adeptes sont aussi nombreuses que virulentes.

Il est bien délicat de cerner les contours précis de pratiques comme le « footing » et le « jogging », utilisées par certains pour maigrir ou pour la condition physique et par d’autres comme un moyen de préparer des efforts aussi intenses que le marathon. Etablir des continuités avec les fondamentaux de l’athlétisme – courir plus vite ou plus longtemps, sauter plus haut ou plus loin, lancer plus loin – n’est donc pas toujours évident. Par ailleurs perçue comme une pratique informelle, du « souci  de soi », du «bien être», il semble délicat de distinguer parmi ces éléments ceux qui permettraient la construction d’une véritable histoire de la course à pied « hors stade » ancrée dans le temps long. Car le « jogging » ou le » footing », sont des termes importés des Etats-Unis dans les années 1970 et qui représentent un phénomène de mode tourné vers le bien être – sport pratiqué exclusivement pour se soucier de sa ligne. De même, le footing, qui selon le dictionnaire le Robert, se définit comme une promenade hygiénique à pied, ne peut sans précaution se vanter d’exister en tant que pratique compétitive.

A l’opposé de ces approches « ludiques » de la course hors stade, les courses sur route comptent néanmoins à leur actif pléthore de héros dignes de figurer au panthéon de l’athlétisme. Rappelons ici que le baron Pierre de Coubertin, le père de l’olympisme moderne n’hésite pas à décrire ainsi Spiridon Louis, ce héros digne de l’Antique qui gagna le marathon des J.O de 1896 à Athènes devant son public : « un magnifique berger vêtu de la fustanelle populaire et étranger à toutes les pratiques de l’entraînement scientifique. Il se prépara par le jeûne et la prière et passa, dit-on la dernière nuit devant les icônes, à la clarté des cierges. Dès lors je fus persuadé que les forces psychiques jouaient en sport un rôle bien plus effectif qu’on ne leur attribue ». Dans l’athlétisme français certains personnages ont aussi été érigés en modèles. De tous les athlètes français, Alain Mimoun, notre marathonien champion olympique est sans conteste celui qui a le palmarès le plus impressionnant et celui qui incarne le mieux cette dimension mythique. Il est déclaré l’athlète du siècle parmi une liste de grands champions français où figurent des noms comme Jules Ladoumègue, Micheline Ostermeyer, Colette Besson, Guy Drut, Roger Bambuck, Michel Jazy, Jean Bouin et plus récemment Marie-José Pérec ou Jean Galfione. Cette symbolique du modèle sportif, érigé en héros, montre bien que dans l’historiographie de faits ou d’évènements sportifs en course hors stade, le marathon occupe une place de choix, surtout lorsqu’il est olympique.

Il ne faut pas non plus oublier que la course sur route n’est pas réellement née dans les années 1970 même si c’est à ce moment là qu’elle prend une nouvelle dimension. Elle existait elle et bien avant. Signalons pour mémoire le marathon de Paris en 1896, pendant celui des Jeux Olympiques d’Athènes avec pas moins de 280 coureurs au départ ou le marathon de Boston, épreuve centenaire qui commémore un haut fait de la guerre d’indépendance aux Etats-Unis.. Dans les premières années du 20 ème siècle, les épreuves se multiplient, diverses originales. C’est l’époque des défis à la résistance humaine. Souvenons nous des marathons de la danse illustrés par le film “On achève bien les chevaux”. La première guerre mondiale n’arrête d’ailleurs pas ce mouvement. Mais c’est la seconde guerre mondiale qui sonne tout de même le glas de telles épreuves.  Comment ne pas évoquer le nom de quelques grands champions que la France connaît fort bien et qui fréquentèrent la route. Ainsi, Jean Bouin au début du siècle n’hésite pas à battre le macadam avec succès, puis Jules Ladoumègue qui fut remarqué par un entraîneur à l’œil averti alors qu’il remportait les courses de village dans la région bordelaise. Sans parler d’El-Ouafi vainqueur du marathon des Jeux Olympiques d’Amsterdam en 1926 ou de l’arlésien Emile Pujazon vainqueur du cross des six nations qui n’hésitait pas à mettre les pieds sur le macadam. Mais le but de cet article n’est pas d’énumérer le palmarès de nos champions français de marathon ou de cross, de faire l’apologie du marathon olympique, mais bien de cerner la véritable histoire de la course hors stade, celle d’une course plus populaire, militante, voire partisane.

En dépit de ce riche passé, c’est bien à partir du début des années 70 que le hors stade va s’affirmer comme une discipline de l’athlétisme à part entière et que des dizaines de courses sur  route vont être organisées. Le hors stade va alors devenir un véritable phénomène de société. Un vaste mouvement collectif se dessine en faveur des courses longues hors des stades, soit sous forme de pratique individuelle, soit dans le cadre d’organisations parallèles et  différentes de celles que contrôlent l’athlétisme sur piste : 100km (comme à Millau), courses de ville en ville (comme Marvejols – Mende, Sedan Charleville ou, Morlaix – Saint-Paul de Léon en 1974), le marathon de Metz (1973). Certains parisiens découvrent d’ailleurs cette course à pied en province avant d’essayer d’en importer l’esprit dans la capitale et sa banlieue, notamment par le marathon de l’Essonne dès 1975 et Paris-Versailles dès 1976. En 1971, Noël Tamini se concerte avec le français Jean Ritzenthaler pour mettre au point les détails de l’organisation du premier marathon de Neuf-Brisach en Alsace, seul et unique marathon français alors « ouvert à tous ». C’est un grand succès. Cette collaboration entre Jean Ritzenthaler et Noël Tamini est d’ailleurs déterminante pour créer la revue Spiridon, une revue partisane des coureurs « hors stade » qui souffle un vent de contestation chez tous ces « fondus du macadam ». Ainsi, Jean Claude Moulin, alors spectateur aux 100km de Millau en 1972 fait la connaissance par hasard de Spiridon. Il adhère tout de suite à cet état  d’esprit, car pour lui : « Avec cette revue, plus de guerre des clubs, comme cela se pratique, mais la rencontre et la rigolade avant tout ! «. Avec ses copains, il décide alors d’organiser en 1973 ce qui va devenir une des plus grandes classiques françaises : la liaison entre deux villes de Lozère,  Marvejols et Mende, une course de vingt-trois kilomètres avec deux cols à gravir. Pourtant au début la tâche est difficile, car comme beaucoup de créations de courses sur route à cette époque, le pouvoir fédéral s’en mêle et comme le cite Jean Claude Moulin lui même : « On a eu aussitôt des ennuis avec le dirigeant du club, puis avec la Ligue du Languedoc. Ils ont tout de suite écrit à la préfecture pour que l’on interdise cette course. D’après eux on était des « farfelus ». Cependant, grâce au susurrement et à l’enthousiasme des coureurs, des « couraillons de tous âges », et surtout à la couverture quasi exclusive de Spiridon, cette course va réaliser une très belle percée dans le paysage médiatique. Elle devient  même le bastion de la course sur route en France, sorte de lieu de rébellion contre l’instance dirigeante qui normalement la réglemente et l’organise: la Fédération Française d’athlétisme (FFA).
Mais ces organisations dites « sauvages » restent, avant tout, plus provinciales que parisiennes En effet, ce que souhaitent mettre en avant leurs protagonistes c’est en priorité  l’émancipation et la médiatisation de ces petites courses de villages au détriment de la capitale. Les auteurs de la revue Spiridon l’expliquent d’ailleurs clairement : « Spiridon a été crée pour pallier des lacunes, en un mot pour servir. Donc pour apporter quelque chose à certains de ceux qui en ont besoin. Et non pour aider les gros à s’engraisser davantage. Alors… de l’information sur les courses parisiennes ? Les journaux de la capitale s’en chargent fort bien, relayés par la radio et par la T.V… des reportages spéciaux sur les courses de Paris ? Pour apporter de l’eau au moulin de ceux qui, le plus souvent, sont débordés de coureurs ?… une publicité gratuite  pour ces courses géantes ? Et donc pour des organisateurs qui ont, cent fois plus que d’autres, les moyens d’acheter une surface publicitaire dans Spiridon ? »

Dans tous les cas, ce mouvement hors des stades entretient un rapport très conflictuel avec la course sur piste. Il se présente lui-même comme une sorte d’image inversée de l’athlétisme de stade. En fait, alors que la forme plus «classique» de la course à pied dépérit, la course « libre » s’avère elle, redoutable pour attirer de plus en plus d’adeptes. Ces courses sur route connaissent une expansion considérable tout au long des années 80. Elles s’affirment comme un fait social majeur (dans les pays anglo-saxons plus encore qu’en France), amenant plusieurs milliers de personnes à courir dans les rues. Le journal télévisé de 20 heures s’ouvre sur des images des marathons de New-York ou Paris. Alors qu’en 1971 on ne recensait que cinq compétitions hors stade, en 1978 on en comptera près de 500 et en 1981 plus de 800. Elles seront plusieurs milliers au début des années 90.
S’affirme alors un mouvement de masse en faveur d’une course à pied libérée du stade qui, après avoir conquis bois et forêts avec le cross-country, reprend possession du bitume urbain.
Perçu initialement comme une mode dans l’air du temps, cette course à pied populaire s’affirme rapidement comme un moyen puissant de se libérer avant tout du joug des stades et de la rigueur des tours de piste. Ces pionniers se nomment alors des « coureurs libres »: libérés de la cendrée des stades dont ils franchissent à jamais les portes, libres dans les choix de leurs parcours, libres des contraintes que veulent faire peser sur eux les fédérations sportives qui voient d’un très mauvais oeil l’engouement de quelques fanatiques se muer, en quelques années, en passion déferlante emportant des dizaines de milliers d’adeptes (Bromberger C.,,1998). Un ton plus que jamais novateur est de mise, en faveur des « opprimés» du stade, ceux en quelque sorte qui ne s’y sentent pas bien, parce qu’ils trouvent la pratique trop élitiste, trop enfermée. Inégalement fréquentées, certaines de ces courses rassemblent petit à petit, année après année, des milliers de coureurs dans de grandes épreuves comme Paris-Versailles ou les 20km de Paris tandis que d’autres n’en rassemblent que quelques dizaines. Mais grâce au mouvement ces courses populaires ne se concentrent pas uniquement dans les grands espaces urbains comme la région parisienne ou lyonnaise, ils se diffusent aussi dans toute la province. Ce développement des courses sur route est parallèle bien évidemment à l’augmentation du nombre de coureurs. En France, on estime à près de 1.000 le nombre de compétiteurs hors stade en 1975, à 50.000 en 1984 et à 120.000 au début des années 1990. Ascension vertigineuse qui traduit bien l’engouement progressif que cette pratique a provoqué chez nos compatriotes désireux de lutter contre une sédentarité de plus en plus mal supportée.

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