Un mur de verre invisible…
…sépare les êtres humains qui courent de ceux qui s’en abstiennent. Un mur embué d’un léger voile de dénigrement mutuel.
Les marcheurs plissent le sommet de leur nez de rides sceptiques : mais après quoi courent-ils ces hurluberlus moulés dans leurs tenues en lurex fluorescent surmonté de couvre-chefs mous ? Ils prennent une impudente avance sur la ruine de leurs articulations écrasées, à chaque impact, sur le bitume sans pitié. Les coureurs, eux, plaignent les statiques de leur embonpoint, de leurs artères qui se bouchent un peu plus à chaque foulée refusée, de leurs poumons rapidement insuffisants, bref, de toutes ces tares que la fée Néantise dispense au-dessus du lit chaud des uns quand les coureurs fument déjà d’efforts dans le petit matin.
J’ai traversé ce mur de verre en avril 2016 en bouclant le marathon de Paris. J’avais eu cette idée saugrenue dans un train, enceinte de huit mois et demi avec un passé radicalement antisportif derrière moi, seulement compensé par l’apprentissage tardif mais salutaire de ce qu’est l’aérobie : la capacité du corps à fournir un effort avec l’air qu’il absorbe. Bref, pour pouvoir courir, il suffit de respirer et d’adapter la vitesse au souffle. CQFD. L’inverse maléfique de cela, c’est l’anaérobie : en traduction, cela équivaut par exemple à rouler à 100 km/h en seconde ou (pour les dames) à vous lancer dans une intense journée de soldes en portant les plus hautes, les plus exigeantes et les plus douloureuses de vos chaussures à talons. Bref, l’aérobie, c’est donner une chance à son corps de répondre présent. Néanmoins, sur la ligne de départ, je n’étais pas fière. Blessée pendant de longues semaines, remise sur pied à peine un mois avant, je n’avais pas les statistiques de mon côté. Devant moi, cette montagne plate de quarante-deux kilomètres, cet océan de bitume à travers Paris. Je finis. Et je changeai définitivement quelque chose à ma vie.